L’esprit du Rite Français Traditionnel

par Roger Dachez, le 15 juin 1999

Il y a un an, nous fêtions le 30e anniversaire de la LNF et aujourd’hui nous fêtons le 40e anniversaire de notre loge. C’est dire que cette loge a, évidemment, préexisté à la fédération qu’elle a contribué à fonder et qu’elle illustre, autant que son histoire se confond avec celle de la LNF comme on vient de nous le rappeler, la démarche générale de la fédération, c’est-à-dire son esprit. Car il y a un esprit qui a présidé à la fondation de la LNF et notre loge avec le rite qu’elle pratique en est un des plus beaux fleurons.

La redécouverte des rites dans leur pureté originelle est un travail fondamental et exemplaire de la fédération. Ce travail a été fait pour les 3 rites que nous pratiquons mais il faut reconnaître que le travail de restitution du rite français est spécifique. En effet, il existe des textes authentiques du Régime Écossais Rectifié et du rite anglais style Émulation. Il suffisait de les reprendre et de les comprendre mais, on l’a vu, la situation du rite français était bien différente.

En effectuant une véritable restitution du rite français les frères cherchaient, en réalité, à retrouver la tradition maçonnique française du XVIIIe siècle et son esprit le plus authentique.

Pour procéder à ce travail plusieurs écueils étaient à éviter.

Le premier était de pratiquer une recherche minimum et de s’en tenir à un texte arbitrairement choisi. Ils ne manquent pas, que ce soit le texte imprimé en 1801 dans le Régulateur du Maçon, ou d’autres textes manuscrits, de 1786, de 1778 ou d’autres encore. Certains l’ont fait et il existe des loges qui travaillent au rite français de « 1778 » par exemple. C’est oublier que le rite français n’a jamais été fixé et qu’un texte unique, fut-ce le Régulateur de 1801 ne saurait prétendre résumer à lui seul cette tradition maçonnique française.

Le deuxième écueil était de considérer que, forts de nos recherches, de notre érudition et de notre expérience, nous en connaîtrions plus aujourd’hui que les Maçons du XVIIIe siècle, que ces derniers n’ont jamais vraiment compris ce qu’il faisaient, et que nous sommes en mesure de reconstruire un rite idéal. Cette tentation fondamentalement néfaste, celle d’une pureté originelle, est plus fréquente qu’on ne le croit.

C’est donc une troisième voie qu’ont choisi les fondateurs de la LNF, une voie, en quelque sorte intermédiaire.

On sait que, stricto sensu, l’expression « Rite français » n’a pas de sens au XVIIIe siècle. En effet, la Maçonnerie qui est apparue en France dans les années 1720 s’est développée en toute liberté, dans un grand foisonnement et en l’absence de tout contrôle obédientiel, la fondation du GODF remontant à 1773. A cet égard, on peut estimer que le développement de la franc-maçonnerie française exprime, à sa manière, une certaine forme du génie français : une très grande diversité, une indéniable capacité d’innovation, et aussi une certaine tendance à la complexité avec l’apparition de nombreux hauts grades.

Ainsi, au milieu du XXe siècle, se lancer dans la découverte de la tradition maçonnique française n’était pas chose facile d’autant qu’il existait très peu de travaux antérieurs. Peu à peu, en retrouvant les sources, c’est-à-dire les plus anciens textes, il fut possible de construire quelque chose d’assez fidèle à l’esprit de la tradition maçonnique française du XVIIIe siècle et de restituer l’ensemble des usages dûment attestés de cette maçonnerie. Ce faisant, on obtint quelque chose d’extraordinairement fascinant mais lourd et complexe. Le « Rite Français » était devenu une sorte de « cathédrale gothique » de la Maçonnerie : tous les éléments qui le constituaient étaient absolument authentiques mais l’ensemble ainsi formé n’avait probablement jamais existé en tant que tel.

C’est au cours des années 1980 que l’on entreprit d’épurer les textes pour ramener le rite aux dimensions d’une « humble chapelle romane ». Il s’agissait de retrouver le nucleus fondamental de la tradition maçonnique française, c’est-à-dire les usages essentiels, constants et indispensables attestés en tant que tels au XVIIIe siècle. Cette « cure d’amaigrissement » des rituels eut l’avantage de dégager des significations certes moins nombreuses mais plus fondamentales et finalement plus riches. C’est l’état du rite français traditionnel aujourd’hui. En remplaçant le mot « rétabli » par « traditionnel » on a voulu signifier qu’il ne s’agissait pas de rétablir un rite qui n’a sans doute jamais été pratiqué comme nous le faisons aujourd’hui, mais qu’il s’agissait de retrouver, de connaître, de vivre et de transmettre les valeurs essentielles de la tradition maçonnique française.

Le Rite Français Traditionnel est donc :

  1. Un rite sobre, voire austère, mais simple, témoignant d’usages anciens moins « bavards » que la maçonnerie d’aujourd’hui, usages qui incitent plus à la réflexion et à la méditation.
  2. Un rite qui s’inscrit dans la tradition chrétienne dont il véhicule les valeurs. Il est précisé que le GADLU est Dieu et que les obligations sont prises sur l’Évangile de Saint-Jean.
  3. Un rite qui met en valeur notre tradition maçonnique nationale, qui correspond à notre histoire et à notre culture. C’est notre manière de participer à l’universalisme maçonnique.

Le RFT est un rite qui évoluera encore puisque, par définition, la recherche des sources fera encore resurgir des éléments nouveaux pour le moment inconnus. Notre compréhension du rite en sera modifiée et s’améliorera et, s’il le faut, nous intégrerons ces nouveaux éléments. C’est ainsi que nous continuerons à faire revivre et vivre cette tradition, notre tradition, la tradition tout simplement.