Histoire de la Loge

par Pierre Petitjean, le 15 juin 1999

L’histoire de la loge Jean Théophile Désaguliers n° 1 de la LNF se confond avec l’histoire de la LNF et la carrière maçonnique de René Guilly.

René Guilly a été reçu apprenti le 9 mai 1951 dans la R.L. La Clémente Amitié du GODF. Créée en 1805, cette loge prestigieuse avait reçu, entre autres, Jules Ferry (1832-1893, président du Conseil) et Émile Littré (1801-1881, auteur du célèbre dictionnaire qui porte son nom). Dans une correspondance privée, René Guilly qui n’avait pas encore 30 ans, donne les raisons qui l’ont conduit à demander son entrée dans la franc-maçonnerie. Il recherchait « une vérité pour donner un sens à la vie quotidienne ». Il était persuadé que la FM recelait une tradition et que cette tradition pouvait lui apporter ce sens. Très vite, il comprit que la FM française avait besoin d’être régénérée pour jouer pleinement ce rôle. C’est ainsi qu’il oeuvra immédiatement à la restauration des rituels. Mais ce travail de fond allait d’emblée se heurter aux limites de la structure dans laquelle il se trouvait.

C’est la raison pour laquelle, dès 1955, avec 27 FF du GODF dont Robert Delafolie, il fonda une nouvelle loge, la R.L. Du Devoir et de la Raison, au sein de laquelle il put travailler avec plus de liberté sur le rituel maçonnique. Ce travail s’appuyait sur quatre principes fondamentaux :

  1. Restauration d’un rituel le plus authentique possible par le moyen de la recherche historique. Cela aboutit au « Rite Français Moderne Rétabli » [l’épithète « Moderne » étant une référence à la tradition véhiculée par la Grande Loge de Londres fondée en 1717 et qui s’appellera plus tard (par opposition à la Grande Loge des « Anciens » fondée en 1751-1753) la « Grande Loge des Modernes »].
  2. Pratique de ce rituel avec rigueur.
  3. Compréhension de ce rituel. Ce travail nécessita la rédaction d’instructions par demandes et réponses à connaître et à expliquer.
  4. Diffusion de ce rite. Pour cela, il y eut des tenues de démonstration en présence de personnalités maçonniques, des tenues avec d’autres loges et des sujets attrayants : Histoire des rituels – Le Grand Orient de France – La Grande Loge de France – Le Maçon sans tablier – Le rôle des fraternelles dans la vie sociale , mais aussi des sujets d’actualité comme Quel est l’avenir de l’Union française ? – Le socialisme trahi : un livre d’André Philippe, etc.

En 1958, fut fondée la Grande Loge Nationale Française « Opéra ». René Guilly y découvrit le Rite Écossais Rectifié et, avec ce rite, un véritable souffle spirituel. L’année suivante, en 1959, fut créée une loge travaillant au Rite Français et le 20 février 1960, soit le 20e jour du 12e mois de l’année 5959, fut fondée une loge portant le titre distinctif « Les Forgerons du Temple » n° 52 de la GLNF Opéra. C’est cette loge, qui travaillait alors au RER, qui est l’ancêtre directe de notre Loge. Cette loge qui avait été conçue comme une loge d’instruction ne rencontra aucun succès et elle était en quasi sommeil lorsque le 28 octobre 1961, fut convoquée une tenue d’urgence. Pourquoi ? C’est que 8 frères, tous du GODF, demandaient leur affiliation. Ces frères apportaient avec eux le RFMR et obtenaient l’autorisation de pratiquer ce rite (avec le RER), mais il était entendu que le RFMR deviendrait le rite principal de la loge. Ce changement de rite se traduisit par un changement du nom de la loge qui prit alors celui de « Jean Théophile Désaguliers », n° 52 de la GLNF Opéra. Un nouveau collège placé sous la direction de Geoffroy Derveaux, 1er Très Vénérable de la loge, fut organisé.

Le 5 novembre 1961, le Conseil fédéral de la GLNF Opéra entérina ces décisions et dès le 4 décembre 1961, à l’occasion de la 2e tenue de la loge, 7 frères de la GLNF Opéra furent affiliés. Lors de la 3e tenue, le 13 décembre 1961, le nouveau Très Vénérable, Geoffroy Derveaux, fut installé en présence de Vincent Planque Grand Maître, et Pierre Massiou donna une conférence sur Jean Théophile Désaguliers.

La loge commença alors sa vie sur ces nouvelles bases. René Guilly, qui avait été le moteur de ce renouveau, ne fut affilié que le 3 octobre 1962 parce qu’il avait des responsabilités au sein du GODF qui lui interdisaient la double appartenance. Mais dès le 19 octobre 1962 il présida la loge et ce jusqu’en 1966. Cependant, les mêmes causes produisant les mêmes effets, le travail de recherche qui se continuait se heurtait, ici aussi, aux limitations imposées par les structures. Car, d’une part, le rite dominant au sein de l’obédience était le RER, ce qui marginalisait de facto le RFMR, d’autre part, et c’est là-aussi une constante de la vie maçonnique, un problème allait naître avec les hauts grades. En effet ce que nous appelons aujourd’hui le Rite Français ne s’arrêtait pas, au XVIIIe siècle, au 3e grade ou grade de Maître. Il était couronné par un chapitre composé de 4 ordres ou grades (Elu, Écossais, Chevalier d’Orient, Souverain Prince Rose-Croix). Ces grades capitulaires n’étant plus pratiqués en France depuis plus d’un siècle, des frères de la loge allèrent recevoir le grade de SPR+ dans un chapitre français à La Haye (Hollande) le 30 novembre 1963 et fondèrent ensuite le 1er chapitre français du XXe siècle en France. Dès lors la question des relations entre ce chapitre, organe directeur du rite, et la GLNF Opéra, organe gérant des loges bleues pratiquement toutes « rectifiées » se posait.

Tout ces facteurs, et bien d’autres encore, furent à l’origine de la création de Loge Nationale Française, le 27 avril 1968 par 3 loges fondatrices, Jean Théophile Désaguliers, James Anderson et Fidélité qui prirent les n°s 1, 2 et 3 de la nouvelle fédération.

La loge Jean Théophile Désaguliers devenue n° 1 recommença alors une nouvelle vie dans une structure enfin adaptée à sa mission. On peut retracer cette histoire à grands traits en distinguant, de 1969 à 1999, 5 grandes périodes :

  • La période historique. C’est le moment où les principaux travaux de recherches historiques trouvèrent un certain aboutissement et permirent une mise en place et une pratique usuelle suffisamment stable d’un rite qui par essence n’est pas fixé. Le RFMR prit alors le nom de Rite Français Traditionnel.
  • La période « opérative ». Pour comprendre certains éléments traditionnels obscurs, on eut recours à la « tentation opérative », c’est-à-dire que l’on cherchait des explications dans le Métier. C’est aussi à cette époque que fut introduit le chant des apprentis au cours des agapes.
  • La période où la loge se réunit dans la crypte du 6 de la rue Saint-Bon à Paris. A cette époque (au début des années 1980), une loge d’étude et de recherche « Louis de Clermont » avait été fondée. Notre loge amorça alors un long chemin vers un statut proche de son état actuel, celui d’une loge de plein exercice (c’est-à-dire avec des réceptions), même si l’étude et la recherche sont et resteront sa vocation fondamentale. Les banquets rituels, éléments importants de la tradition française et qui avaient été rétablis dès 1955 dans la loge « Du devoir et de la raison », étaient alors très frugaux.
  • La période de « traversée du désert ». Les locaux de la rue Saint-Bon étant devenus indisponibles, la loge entra dans une vie d’errance d’abord à Belleville dans des conditions très incommodes puis à Suresnes où la RL Goodwill n° 17 nous accueillit pendant de nombreuses années dans divers locaux. C’est pendant cette période que René Guilly disparut le 11 juin 1992.
  • La période actuelle. Si, à la fin de la période précédente, la loge était installé dans des locaux somptueux (dans les vignes de Suresnes), elle souffrait néanmoins de son éloignement de Paris, ce qui se traduisait par une absence quasi totale de visiteurs (en dehors des frères de la LNF), c’est pourquoi elle déménagea pour s’installer à Neuilly où elle se trouve désormais.

Ainsi le RFT est le représentant par excellence de la tradition maçonnique française. Issu d’un mouvement de recherche qui, par définition, ne s’arrête jamais, ce rite n’est pas un rite totalement fixé même s’il a acquis maintenant une certaine stabilité. Cependant notre devoir à tous est, plus que jamais, de le faire vivre, de le comprendre, de le faire connaître et aimer.