Etude comparée de 3 divulgations maçonniques françaises
Le Sceau rompu (1745), L’ordre des Francs-maçons trahi et leur secret révélé (1744) et Le Catéchisme des Francs-maçons (1744)
sous la direction de René Guilly
Tenue du 18 juin 1987
Le Sceau rompu ou la loge ouverte aux Profânes par un franc maçon comparé à Le Catéchisme des Francs-Maçons (de Léonard Gabanon i.e. Louis Travenol, 1710-1781)
Grade d’apprenti
(suite)
6. D. Etes-vous Maçon ?
R. Mes Frères & Compagnons me reconnoissent pour tel.
On trouve cette question avec la réponse « Oui, je le suis » dans la « Synthèse Ecossaise »[1] dès 1696 et les textes ultérieurs. La réponse complète se trouve dans le Wilkinson (circa 1727) et la divulgation de Prichard (1730). Remarquons l’expression : « Frères et Compagnons ». Elle se trouve dans le Chant des Apprentis de Jean-Christophe Naudot (1690-1762) publié en 1737. Sans doute faut-il voir ici une allusion au grade d’« Apprentif-Compagnon ».
7. D. A quoi connaîtrai-je que vous êtes Maçon ?
R. A mes signes & mes marques, & au point parfait de mon entrée.
Le Catéchisme de Travenol donne comme réponse : « Au signe, attouchement et à la parole ». Cette séquence est dans un ordre logique et pratique : le signe peut se faire à distance, l’attouchement de plus près et la parole donnée à l’oreille, de très près.
La réponse donnée dans le Sceau se trouve dans le Wilkinson, et peut-être antérieurement : il faudrait chercher dans un texte de 1711.
Il y a lieu de distinguer « signes » au pluriel de « signe » au singulier. Les « signes » au pluriel sont détaillés dans la demande et réponse suivante (n° 8) : ce sont l’Equerre, le Niveau et la Perpendiculaire. Le « signe » au singulier, dont la source se trouve dans la Synthèse Ecossaise de 1696, fait référence au premier point parfait de l’entrée[2] (Cf. Demandes et réponses 10 à 12).
Marque et attouchement : le mot anglais qui désigne l’attouchement pourrait, dans un sens ancien, signifier aussi « marque ». Néanmoins il existe un mot anglais « mark » pour désigner une marque tandis que le mot « token »[3] qui désigne l’attouchement peut aussi signifier « code ». L’attouchement se donne lors de la poignée de main, en anglais « grip » (à ne pas confondre avec la notion française de « griffe », poignée de main qui se donne au grade de Maître), et il peut alors être assimilé, lors de la pression que l’on donne, à une marque.
Plus tardivement, vers 1730, on ajoutera à la réponse « et aux circonstances de ma réception », ce qui ouvrira la porte sur la description de la réception.
8 D. Quels sont les signes des Maçons ?
R.. L’Equerre, le Niveau et la Perpendiculaire.
La source de ce ternaire remonte aux années 1727-1730 ce qui dénote un rapport entre Le Sceau rompu, le Wilkinson et Prichard. L’Equerre, seule, se trouve dans le Sloane (1700) comme signe de reconnaissance (dans ce manuscrit, elle est une lumière et le moyen de prêter serment). C’est une clef fondamentale dans la maçonnerie opérative. Ce n’est qu’en 1727 que la Grande Loge de Londres décide d’attribuer les bijoux de la façon suivante : l’Equerre au Vénérable Maître, le Niveau au 1er Surveillant et la Perpendiculaire au 2è Surveillant.
9 D. Quelles sont les marques ?
R. Certains attouchements réguliers que l’on se donne entre Frères.
L’expression « certaines poignées de main » se trouve dès les années 1727-1730. Ainsi, on peut dire que la maçonnerie spéculative actuelle se trouve constituée au cours de ces années là et que la maçonnerie spéculative française, issue de celle des îles britanniques, est en gestation et constitution à Londres dans les années 1720.
10 D. Donnez-moi le point parfait d’entrée.
R. Donnez-moi le premier, je vous donnerai le second.
11 D. Je garde ?
R. Je cache.
12 D. Que cachez-vous ?
R. Les signes des maçons et de la Maçonnerie.
L’expression « Donnez-moi le premier, je vous donnerai le second » s’applique donc ici au point parfait d’entrée et non au Mot du Maçon comme cela sera le cas à partir de 1730, date à laquelle cette dernière innovation entre en scène, exemple même d’une dérivation maçonnique.
« Je garde ? » est une référence directe au serment et établit un rapport entre l’idée d’une pénalité et le point d’entrée. On trouve cette liaison dès 1696 et le manuscrit Sloane, D. 3.
On remarque qu’une parfaite cohérence se dégage des D. 7 (« mes signes et mes marques et au point parfait de mon entrée ») qui sont secrets et permettent de reconnaître un Maçon, 10 « le point parfait de l’entrée » en rapport avec l’idée de secret « je garde, je cache », 12 « que cachez-vous ? » les secrets tels les signes des Maçons (retour à D.7)
Deux notions sont à retenir lors de l’Entrée du profane : on désigne sa nouvelle qualité et on lui donne un dépôt à conserver. Le rite de l’Entré est donc très important puisque le profane y reçoit tout ce qu’il y a de fondamental, en une seule fois. Sous cette forme, ce rite a des origines écossaises. On peut également établir des relations avec le compagnonnage français ainsi qu’avec l’Allemagne (cf. D.2 et suiv.), ce qui constituerait un tronc opératif commun.
D&R 13 à 16
«- Où avez-vous été reçu Maçon ?
-Dans une Loge juste et parfaite.
-Qui compose cette Loge ?
-3, 5 & 7 : savoir, un Maître Vénérable, 2 Surveillants, 2 Compagnons et 2 apprentifs.
-Qui la forme ?
-5, qui sont un Vénérable Maître, 2 Surveillants, 1 Compagnon et 1 apprentif.
-Qui la gouverne ?
-3, un Vénérable Maître et 2 Surveillants. »
La trilogie 3, 5, 7 est une notion récente des années 1730. Ici encore on remarque le travail d’élaboration de la Maçonnerie spéculative anglaise, comme on vient de le voir à l’instant, dans les années 1720. A un certain moment le système se fige et devient universel.
A propos de la formation et du gouvernement de la Loge notons qu’en 1717, à Londres, la Loge est formée de 3 officiers (Vénérable Maître ; 1er et 2e Surveillants) hiérarchisés (cf. D. 8). En 1760, les « Anciens », principalement Irlandais mettent les 3 grands Maîtres de la Loge sur un plan d’égalité. Il ya donc un divorce anglais/irlandais sur la situation des 3 officiers et c’est un problème fondamental.
La composition de la Loge en 3, 5, 7 est reprise dans L’Ordre des Francs-maçons trahis (1744-5). Sur les origines de cette composition qui a connu des variations (cf. Sloane, op. cit., D. 5) il semble que le débat s’est cristallisé autour de 1724/5 sur 5 et 7 (le 3 étant déjà en place dès 1717 dans la Maçonnerie anglaise) dans des textes irlandais, donc archéo-anglais, qui auraient pu servir de relais à la Maçonnerie française..
Notes :
[1] Cf. RT, op. cit.
[2] Cf. Ms Sloane, op. cit., 3e question.
[3] Sur ce mot, Ms Sloane, op. cit., p. 140, 2e question et la note.